7 textes brefs [2007]




Pour Poup Perronno, Sylvain Larquier, John Froger, Michel Fourquet, Arnaud Monfort, Madeleine Hadrich





Ce fut brusque, c’est arrivé d’un coup. Nous étions dehors et d’un coup nous étions dedans. Habille-moi. Non. Jamais tu ne me verras. Oui. Regarde. Regarde-moi bien. Je. Te regarde. Est-ce que j’ai l’air d’une. D’un. Qu’on perce à jour. Est-ce que j’ai l’air d’une. D’un. Regarde-moi bien. Tu verras comment c’est brusque d’être dehors et d’un coup dedans tu verras. Tu crois pouvoir. Faire avec moi, ça, avec moi. Ne le crois pas. Mes interdictions. Ne s’adressent qu’à moi. Ne le crois pas. Ne va pas le croire. De qui je parle. A qui. Nous ne sommes pas préparés. Nous ne sommes pas. Prêts. Tant mieux. Nous sommes là. Proches. Comme au réveil. Dans un même lit. Non. Prends-moi comme au réveil. Visage nu. Du réveil. Encore la nuit. Les traces. Les traces encore des draps de la nuit sur mon corps. Comme au réveil, regarde-moi, regarde, moi, avec tes yeux qui n’ont pas encore vu. Regarde-moi par surprise. Je dis : la joie vient juste après la surprise. Je dis, et la joie vient, juste après. Je dis la joie : est le regard incrédule heureux sur la surprise venue. Elle est l’autre nom de l’impossible, oui. Regarde-moi, sans prendre le temps de préparer, ton regard. Ne pare pas ton regard. Ne pars pas. Prends-moi sans apprêt. Oui. Après je me réveille. Moi. Non. Je ne suis pas. Prêt. Pas déjà. N’ai ni eu ni pris. Le temps. De. Me préparer. A quoi. Me préparer. L’idée. De recomposer. Mon visage. Il est décomposé. Je vais le recomposer. Il est en fragments, décomposé, en éclats, je vais le recomposer. Vais-je à l’identique de la veille le recomposer. C’est, lors de ces temps, hors, or, de, sept années durant. Lorsque je me recomposais la face, si j’ose dire. Et. J’ose dire. Et. J’osai dire. Enfin. J’osai le dire. Et. Lorsque ma face fut recomposée. Lorsqu’elle le fut enfin. Toute attention, alors, s’ouvrit sur le possible de n’être plus le même. Là. Même. Mais. C’était si proche. Tu. Etais si proche. Que je n’avais plus rien. A regarder. J’ai trouvé. Que c’était dur. Après, je me suis habitué.




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J’ai repensé à quand j’ai été. J’ai repensé à quand déjà j’avais fait. Ça. Je savais déjà comment faire. Un peu. J’ai refait. Non. Ça n’allait pas. C’était autre chose. Donc. C’était le même visage. Non. Plus le même. Et j’étais seul, cette fois. Oui. C’était combien d’années plus tard. C’est. Aujourd’hui. Mes épaules droites. Mon visage en avant. Non. Comme ça c’est agressif. Et comme ça, c’est comment ? Comme ça, c’est trop sérieux ? J’ai pas envie d’avoir l’air sérieux. Je suis un marrant, moi, pas triste face. Tu connais, la blague : comment ça va ? Réponse : C’est justement la question que je me pose. Bon. Je reprends. Je me compose. Un visage. Pas trop agressif. Pas trop sérieux. Pourquoi tu prends l’air sérieux. Je prends pas l’air sérieux, je défais mon air agressif. Ça me donne l’air sérieux ? J’ai pas envie de cet air là. Tu comprends ? Je reprends. Pas agressif. Pas sérieux. Je vais faire le con, si tu préfères. Je sais faire. Je préfère. Je fais le guignol. Frappe-moi sur la tête. Je suis ton guignol. Vas-y, frappe, tu vas voir, je vais me marrer. Je suis. Ton fou. Ton clown. Si tu veux. Regarde. Ma face de clown. Ma face de face. Mon face à face. A toi. Maintenant. Montre-toi. Ça me ressemble. Marre-toi. Fais le con. Viens faire le con avec moi. Si tu te marres pas, t’es mort, je te jure, si t’es mort, tu te marres pas. Si tu te mords pas, tu rames, j’en ai plein la barque des comme ça, la barque est pleine, je la charge, je rame, si je rame pas, la barque est morte. Si la barque est morte, j’accoste. Si j’accoste, j’entre dans un bar, voilà, je suis dans un bar, et là j’attends, il y a une file d’attente, il y a ma queue entre les jambes, pourquoi je dis ça. Il y a un poisson vivant dans la mer, pourquoi je dis ça. Ma barque est morte, je suis au bar, il y a un poisson vivant dans la mer, quand je sortirai du bar, je ne reprendrai : ni les rames, ni la barque. Je sais, maintenant, je sais. Maintenant. Là. Quand je sors. Là. Maintenant. Je le fais. Là. Je vais le faire. Attention. Maintenant. Là. Maintenant. Ça y est. Tu as vu ?




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Il n’y a personne devant moi il y a une machine et un trou blanc dans le centre obscur de l’objectif je n’ai rien à regarder personne devant moi la dernière fois je me demandais mais tu prends quoi en photo quoi de moi non pas tu prends mais quelle synchronie s’instaure ou pas entre le temps où toi tu prends les photos et le temps où je suis là face à toi vrillant mon œil dans le centre obscur de l’objectif oui c’était ton œil oui c’était l’impossible accès à ton œil dans lequel je vrillais le mien et le mien et ma pensée face à toi et avec toi et moi en ce temps commun tu étais derrière la machine alors il y avait une machine entre toi et moi mais tu étais là aujourd’hui il n’y a plus que la machine et ce trou blanc dans le centre obscur de l’objectif toi tu fais quoi aujourd’hui la machine est seule et prend la photo ça va très vite ça ne dure pas il n’y a pas de temps il n’y a pas un temps dans lequel être et s’ancrer il y a la machine qui va prendre la photo la machine et pas d’ancrage possible entre elle et moi dans la durée comme si là machine effaçait la durée me disant je ne suis pas un œil pour durer pas un œil pour te voir je ne suis pas un œil pour te prendre par l’œil et plus tard j’ai lu cette phrase un jour entre le jour où la machine a pris quoi de moi et ce jour aujourd’hui où l’image ici suspendue montre quoi la phrase la voici la phrase dit ce n’est jamais la réalité qu’on appréhende mais une vue de l’esprit voilà cette phrase est pour toi là je veux bien sans l’attendre que tu m’en fasses découvrir une que toi seul serait capable de former.




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Et la lumière. Va venir. Dans mes yeux. Je ne vais pas pouvoir supporter. La lumière. Dans mes yeux. Personne ne peut. Supporter. Que je sache. Lumière dans les yeux. Te ferme les yeux. Que je sache. Comment les garder. Ouverts. Face à la lumière. Je les ouvre, grand, face à la lumière. Pas encore venue. Face à la lumière, à venir. J’ouvre grand les yeux. Je veux avoir, les yeux ouverts grand, quand elle viendra. Je ne la verrai pas, quand elle sera, là, je sais. Mais je veux avoir. Les yeux ouverts grand. Je veux qu’elle voit, la lumière, ce par quoi je vois, rendu aveugle, par sa venue. Voilà j’ouvre grand mes yeux. Je veux être certain. Que l’aveuglante. Les voit. Je ne les ferme pas. J’ouvre grand. Je force. Le regard. Ce n’est pas mon regard. C’est le regard. D’un qui sait. Que la lumière. Va venir. Va venir fort. Et frapper. Va venir interdire. La vue. J’attends. J’ouvre les yeux grand, au plus grand, j’attends, la lumière aveuglante, de face, aveuglante, je sais, empêche de voir. Je sais. Qui te frappe de face. T’interdit de voir. Je.




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Comment il fait. Comment je vais faire avec. Comment faire et quoi. Avec ce qu’il fait. Avec. Ce qu’il aura fait. Il est. En train de faire. Moi je fais après. Après lui. D’après lui. Avec moi. Je ne demande pas. Ce qu’il est en train de faire. Je regarde. Le regarde faire. Un regard. De fer. Ce n’est pas moi. Non là pas moi. Qui suis en train de faire. C’est lui. Pas moi. Je le regarde. Je demande. Ce que je vais moi faire. Ensuite. Après. Moi. Ne me dis rien. Laisse-moi. Venir. Après toi. Je te regarde. T’écoute. Je ne demande pas. Ce que je vais moi faire. De ce que je regarde. De ce que j’écoute. Je demande. Quoi. Va me rester. Quoi. Je vais oublier. Mon attention. Toute tendue, entre, ce présent, et, cette crainte d’oubli. Si j’oublie, je dis quoi. Si tu donnes, je fais quoi. Si tu fais, là moi je fais. Mais. Après. Cela qui vient : est mon passé d’après. Je me sens seul. Tu sais. Non. Je ne sais. Qu’une chose : l’image n’est pas à la hauteur de la hauteur de mon corps.




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Je ne pense rien. Je vais vite. Je ne suis pas. Je parviens à. Etre par. La vitesse. Je suis. La vitesse. Déclenche. Ce n’est pas moi. C’est la vitesse. Je suis. La vitesse. Déclenche. Pas moi. La vitesse. Pense. Pour moi. Je ne pense pas. Je ne pense rien. Moi. Je suis. Un point. C’est tout. Je fais. C’est tout. Je concentre. Le point. C’est moi. Je suis. Le point du centre. Au centre. Un point. C’est moi. Sans penser. Le vide. Autour. Je fais. Je défais. Le centre. Fait. Je défais. Le cercle. Fais le vide. Vois l’image. Alors effroi. Je refais. L’image. Le cercle. Le centre. Je pense. A refaire. Le centre. Je pense. A défaire. Le vide. Ne pense pas. L’image. Du vide. Image. Première. Image. D’après. Moins d’effroi. Dans l’œil. Moins de pensée. A rien. Davantage. L’esprit. Moins. La pensée. Davantage. Vagabond. Je. Vagabonde. Sans penser. Je fixe. L’esprit. Du vide. Je ne pense. A rien. Je sais. Faire. Mon esprit. Vagabond. Ne pense. A rien. Je ne fixe. Pas. La pensée. Je suis. Le vagabond. De. La pensée. Un vagabond. De. L’esprit. Je m’habitue. C’est assez moi. C’est : à ces mois passés, en tête à tête, avec moi-même, que je dois d’être encore. Sans penser. Pouvoir. Encore. Etre et sans penser. Au vide. Sans penser. A rien. Attente vraie. Celle de rien. Là. Je ne pense. Rien. Là. Je suis. Ouvert à la. Venue. J’ignore de quoi. Pas. Encore venu. Là. Venue j’ignore. De. Qui. Je. Me souviens. Oui. C’était froid.




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C'est un blanc, non, pas pendant, non, mais quand j’y pense, maintenant, non, je ne me souviens plus. Il y a des chiffres. Il y a : à chaque chiffre est attribuée une couleur. Il y a : quelle est la couleur du blanc. Oui, j’ai bien dit : quelle est la couleur du blanc. Il y a des morts et des vies dont je ne suis pas responsable. Est-il possible que je ne sois pas responsable. Etre. Face à quoi. J’ai à répondre. De quelle couleur. De quelle chiffre. Inscrit. Sur ma peau. Dans mon corps. Je suis vivant. Combien sont morts. Je n’ai tué personne. Est-ce bien certain. Cet animal ébouillanté n’est pas un homme. J’ai tué cet animal. Je l’ai mangé. Sa couleur passe au rouge maintenant qu’il est mort, quand il meurt, il change de couleur. Un chiffre pour chaque couleur. Et manger. Danser. Chanter. Sur un champ de. Un chant. De. Mémoire. En mémoire. Au. Présent. Que ceux qui sont morts ne soient pas morts pour rien. Que notre vie, notre joie, soient à la hauteur de l’impossible mémoire. Un blanc. Un noir. Un trou noir d’origine à tes pas. D’origine à trépas, voulais-je écrire. Un trait. Non qui m’annule. Mais sur lequel, regarde. Chaque jour je le prolonge. Je n’oublie rien. Il me faut oublier. Si je veux continuer. Je n’oublie pas. De continuer. N’oublie pas. De continuer. Un trait. Là. C’est mon pas. Oui. Tu vois.




[2007]












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